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Récit de Philip Blake

Lettre d’accompagnement reçue avec le manuscrit :

 

Cher monsieur Poirot,

Je tiens ma promesse et vous prie de bien vouloir trouver ci-joint un compte rendu des événements afférents à la mort d’Amyas Crale. Je dois vous rappeler qu’après tant d’années mes souvenirs n’ont peut-être plus toute la précision souhaitable, mais j’ai essayé de faire au mieux de ma mémoire.

 

Sincèrement vôtre,

Philip Blake

 

Notes sur le déroulement des événements ayant conduit au meurtre d’Amyas Crale en septembre 19…

 

 

Mon amitié avec le défunt est très ancienne. Sa maison avoisinait la mienne, à la campagne, et nos deux familles étaient très liées. Amyas Crale avait deux ans et quelques mois de plus que moi. Nous n’allions pas à la même école mais nous jouions ensemble pendant les vacances.

Ma longue connaissance de cet homme me rend particulièrement qualifié, je crois, pour porter témoignage sur son caractère et sur son attitude générale face à la vie. Et je commencerai par là : tous ceux qui l’ont vraiment fréquenté trouveront absurde l’idée qu’il ait pu se suicider. Crale n’aurait jamais attenté à ses jours. Il aimait trop la vie ! L’argument de la défense, au procès, selon lequel il aurait eu une crise de conscience et, tenaillé par le remords, aurait absorbé le poison, ne tient pas pour quiconque a connu cet homme. La conscience de Crale était quasi inexistante, je dois dire, et encore moins morbide. De plus, il ne s’entendait pas avec sa femme et je ne crois pas qu’il aurait eu le moindre scrupule à briser ce qui lui apparaissait comme une vie de couple ratée. Il était prêt à pourvoir aux besoins financiers de la mère et de l’enfant issu de ce mariage, et je suis sûr qu’il l’aurait fait sans compter. Car il était très généreux. Chaleureux aussi, et convivial. On ne l’aimait pas seulement pour sa peinture : ses amis lui étaient très attachés. Pour autant que je sache, il n’avait pas d’ennemis.

Je connaissais également Caroline Crale depuis de nombreuses années. Depuis bien avant son mariage, en fait, quand elle venait séjourner à Alderbury. Elle était un peu instable, à l’époque, sujette à des crises de colère incontrôlables. Un personnage non sans attrait certes, mais indéniablement difficile à vivre.

Elle manifesta presque tout de suite une forte inclination pour Amyas. Lui, je pense, n’était pas véritablement amoureux d’elle. Mais ils se retrouvaient souvent ensemble. Elle était, comme je l’ai dit, attirante et ils finirent par se fiancer. Les amis intimes d’Amyas s’en émurent quelque peu car ils sentaient que Caroline n’était pas une femme pour lui.

D’où une certaine tension, au début, entre l’épouse et les proches de Crale. Mais Amyas, qui avait l’amitié solide, n’était pas disposé à laisser tomber ses vieux compagnons dans le seul but de complaire à sa femme. Quelques années plus tard, nous étions toujours dans les mêmes termes, lui et moi, comme au bon vieux temps, et j’étais un visiteur assidu à Alderbury. A tel point que je devins le parrain de la petite Carla : preuve, s’il en était besoin, qu’Amyas me considérait comme son meilleur ami. Cela me donne autorité pour parler d’un homme qui n’est plus là pour le faire lui-même.

Pour en venir aux faits mêmes qu’il m’a été demandé de narrer, je suis arrivé à Alderbury – comme le précise un vieil agenda que j’ai retrouvé – cinq jours avant le crime. Donc le 13 septembre. J’ai tout de suite senti qu’il y avait de l’électricité dans l’air. Miss Elsa Greer, dont Amyas faisait le portrait, séjournait également dans la maison.

C’était la première fois que je la voyais en chair et en os, mais j’étais depuis un certain temps déjà au courant de son existence. Amyas m’en avait fait un éloge enflammé un mois auparavant. Il avait rencontré, soi-disant, une fille merveilleuse. Il était si enthousiaste que je lui dis en riant : « Hé, doucement les basses, vieux ! Tu vas encore perdre la tête. » A quoi il répondit que je n’avais rien compris, qu’il ne faisait que la peindre, qu’il ne lui portait aucun intérêt en tant que personne. « A d’autres ! Tu me l’as déjà sortie, celle-là !

— Cette fois, c’est différent, fit-il.

— Comme chaque fois ! » jetai-je non sans un certain sarcasme. Il prit alors un air ennuyé : « Tu ne comprends pas, je te répète. Elle est toute jeune, c’est presque une gamine. » Et d’ajouter qu’elle avait des idées très modernes, qu’elle était complètement libérée des vieux préjugés. « Elle est franche, elle est nature et elle n’a pas froid aux yeux ! » conclut-il.

Je me suis dit alors – mais je l’ai gardé pour moi bien entendu – qu’il était sacrement mordu, cette fois. Quelques semaines plus tard, j’entendis des commentaires d’autres personnes. On disait que « la petite Greer était follement amoureuse », et aussi que, vu l’âge de la fille, ce n’était pas très malin de la part d’Amyas – ce sur quoi quelqu’un se mit à ricaner en disant qu’Elsa Greer n’était pas tombée de la dernière pluie. On racontait également qu’elle roulait sur l’or, qu’elle avait toujours eu tout ce qu’elle voulait, et que c’était elle qui s’était jetée à sa tête.

Une question fusa : qu’est-ce que la femme de Crale pensait de tout ça ? La réponse, très révélatrice, fut que si elle ne s’était pas encore faite à ce genre de situation elle ne s’y ferait jamais – à quoi quelqu’un opposa qu’on la disait jalouse comme une tigresse et quelle rendait à Crale la vie tellement impossible qu’un homme avait dans ces conditions bien le droit de s’octroyer un peu de bon temps. Je mentionne tout cela afin de bien faire comprendre, c’est important, quelle était la situation lorsque je débarquai à Alderbury.

J’étais curieux de voir cette fille et ne fus pas déçu : elle était remarquablement belle et d’une séduction folle. Je constatai, avec un amusement un peu pervers je l’avoue, que Caroline prenait très mal la chose.

Amyas lui-même ne montrait pas sa gaieté habituelle. Quelqu’un qui ne le connaissait pas aurait trouvé son comportement tout à fait normal, mais divers signes de tension – sautes d’humeur, moments de distraction, grogne, irritabilité – ne pouvaient échapper à un intime comme moi.

Bien qu’il eût toujours tendance à être de mauvaise humeur lorsqu’il peignait, le tableau auquel il travaillait à ce moment-là ne suffisait pas à expliquer sa nervosité. Il eut l’air content de me voir : « Dieu merci, tu es venu, Phil, dit-il dès que nous fûmes seuls. Vivre avec quatre femmes sous le même toit, il y a de quoi rendre un type complètement maboul. Elles vont finir par m’envoyer à l’asile. »

L’atmosphère était indéniablement lourde. Caroline, je l’ai dit, rongeait son frein. Avec une infinie courtoisie, sans se départir de ses bonnes manières et sans prononcer jamais un seul mot de travers, elle se montrait plus odieuse avec Elsa Greer qu’on aurait pu le croire possible. Elsa, elle, ne prenait pas de gants et était ostensiblement agressive. Elle se trouvait en position de force, elle le savait, et aucun scrupule ne venait l’empêcher d’étaler ses mauvaises manières. Le résultat fut que Crale passait son temps à se bagarrer avec la petite Angela quand il ne peignait pas. Ils s’aimaient bien, d’habitude, même s’ils n’arrêtaient pas de se chamailler. Mais cette fois-là, tout ce qu’Amyas disait était cinglant et ils eurent tous deux quelques sérieuses prises de bec. Le quatrième personnage du groupe était la gouvernante. « Le vieux chameau », comme l’appelait Amyas. « Elle me déteste comme ça n’est pas permis. Elle reste plantée à me regarder, les lèvres pincées, l’air perpétuellement réprobateur. »

Et d’ajouter : « Au diable les bonnes femmes ! Si un homme veut goûter la paix dans l’existence, il a intérêt à éviter la gent féminine ! »

— Tu n’aurais jamais dû te marier, lui ai-je dit. Tu es du genre à ne pas supporter les contraintes domestiques.

A quoi il répondit qu’il était un peu tard pour le dire. Et que Caroline serait trop heureuse de se débarrasser de lui. C’est là que j’ai compris qu’il y avait quelque chose d’inhabituel dans l’air.

— Qu’est-ce que tu veux dire ? Cette histoire avec la belle Elsa est donc sérieuse ?

Il poussa une sorte de gémissement :

— Elle est incroyablement belle, non ? Il y a des fois où je préférerais n’avoir jamais posé les yeux sur elle.

— Ecoute, mon vieux, ai-je fait, reprends-toi. Tu ne vas pas te coller encore une histoire de femme sur le dos.

Il m’a regardé et s’est mis à rire :

— Facile à dire ! Les femmes, je ne peux pas m’en passer, c’est plus fort que moi. D’ailleurs même si j’en étais capable, c’est elles qui ne me ficheraient pas la paix !

Puis il a haussé ses larges épaules pour ajouter, avec un grand sourire :

— Bof ! tout ça finira bien par se tasser. Et puis tu dois reconnaître que le tableau est bon, non ?

Il faisait allusion au portrait qu’il effectuait d’Elsa et, malgré mon peu de connaissances en technique picturale, je pouvais voir que cette œuvre serait d’une puissance exceptionnelle.

Quand il peignait, Amyas était un homme différent. Bien qu’il se mette souvent à grogner, à pester, à se renfrogner, à jurer comme un charretier, parfois à envoyer promener brosses et pinceaux, il était intensément heureux.

Ce n’était que lorsqu’il rentrait prendre ses repas à la maison que l’atmosphère conflictuelle entre les femmes le minait. Cette hostilité atteignit son comble le 17 septembre. Le déjeuner s’était déroulé dans un climat de malaise. Elsa s’était montrée particulièrement… – ma parole, je crois qu’insolente est le seul mot qui convienne ! Elle avait délibérément ignoré Caroline pendant tout le repas, affectant de s’adresser à Amyas comme s’ils étaient seuls dans la pièce. Caroline avait continué à parler aux autres comme si de rien n’était, parvenant fort bien à décocher des piques sous forme de remarques tout à fait anodines. Elle n’avait pas le franc-parler méprisant, d’Elsa. Chez Caroline, tout était sous-entendu, suggéré plutôt que dit.

Les choses s’envenimèrent après déjeuner, dans le salon, au moment où nous terminions le café. Je venais de faire un commentaire sur une tête sculptée en bois de hêtre poli, une pièce très curieuse, et Caroline dit : « C’est l’œuvre d’un jeune sculpteur norvégien. Nous aimons beaucoup ce qu’il fait, Amyas et moi. Nous espérons aller lui rendre visite l’été prochain. » Cette façon détournée de marquer son territoire fut plus que n’en pouvait supporter Elsa. N’étant pas fille à laisser passer un défi, elle attendit une minute ou deux et prit la parole, de sa voix claire et toujours un peu poussée : « Cette pièce serait très agréable si elle était convenablement arrangée. Il y a beaucoup trop de mobilier. Quand j’habiterai ici, je ferai le nettoyage par le vide. A l’exception d’un ou deux jolis meubles, peut-être. Et je crois que je poserai des rideaux dans les tons cuivrés sur la grande baie vitrée de l’ouest, pour faire ressortir le soleil couchant. » Elle se tourna vers moi : « Ça fera joli, non ? »

Je n’eus pas le temps de répondre. Caroline le fit à ma place d’une voix douce, d’une voix de velours que je ne saurais mieux décrire qu’en la qualifiant de dangereuse :

— Vous envisagez d’acheter la maison, Elsa ?

— Il ne me sera pas nécessaire de l’acheter.

— Qu’entendez-vous par là ?

La voix de Caroline avait à présent perdu toute sa douceur. Elle était devenue dure et métallique. Elsa se mit à rire :

— Faut-il vraiment continuer à faire semblant ? Allons, Caroline, vous savez très bien ce que je veux dire !

— Je n’en ai pas la moindre idée, répliqua cette dernière.

— Voyons, insista Elsa, inutile de jouer les autruches. A quoi bon prétendre que vous ne voyez pas alors que vous savez très bien ce qui se passe ? Amyas et moi, nous nous aimons. Cette maison n’est pas à vous, mais à lui. Et quand nous serons mariés, je viendrai y vivre avec lui !

— Vous êtes folle ! siffla Caroline.

— Oh non, je ne suis pas folle, ma chère, et vous le savez très bien. Ce serait tellement plus facile, si nous étions franches l’une envers l’autre. Amyas et moi nous nous aimons, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Alors choisissez la sortie élégante : rendez-lui sa liberté.

— Je ne crois pas un mot de ce que vous racontez, fit Caroline.

Mais le ton de sa voix ne trompa personne. Elsa avait fait mouche. A ce moment précis, Amyas entra dans la pièce.

— Si vous ne me croyez pas, vous n’avez qu’à lui demander, ricana Elsa.

— J’y compte bien, fit Caroline qui, sans attendre, se tourna vers son mari. Dis donc, Amyas, Elsa prétend que tu veux l’épouser. C’est vrai ?

Pauvre Amyas. Il me faisait pitié. Un homme se sent vraiment bête, quand on lui impose une scène de ce genre. Il est devenu écarlate et s’est mis à enguirlander Elsa. Pourquoi diable n’avait-elle pas tenu sa langue ?

— Alors c’est donc vrai ? s’écria Caroline.

Il ne répondit pas. Figé devant elle, il se contentait de promener son doigt à l’intérieur du col de sa chemise. Geste dont il avait l’habitude depuis tout gosse à chaque fois qu’il se trouvait dans un pétrin quelconque. Il dit – d’une voix qu’il voulut digne et autoritaire mais sans y parvenir, le pauvre :

— Je n’ai pas envie de discuter de ça.

— Oh, que si, on va en discuter ! fit Caroline.

— Je trouverais normal que Caroline sache, intervint Elsa.

Caroline reprit, très calmement :

— Est-ce que c’est vrai, Amyas ?

Il semblait dans ses petits souliers. Comme souvent les hommes, quand les femmes les coincent dans leurs derniers retranchements.

— Réponds-moi, je te prie, insista-t-elle. J’ai besoin de savoir.

Il releva soudain la tête, comme un taureau prêt à charger dans l’arène :

— Bon, oui, c’est vrai. Mais je n’ai aucune envie d’en discuter pour le moment.

Il pivota sur ses talons et sortit à grands pas. Je le suivis. Je ne voulais pas rester avec les femmes. Je le rejoignis sur la terrasse. Il était en train de déverser un chapelet de jurons, et il y allait de bon cœur. Puis il s’est mis à fulminer :

— Elle ne pouvait pas la boucler ? Quel besoin avait-elle de sortir ça, bon Dieu ? Maintenant, elle a mis le feu aux poudres ! Il faut pourtant que je finisse ce tableau. Tu te rends compte, Phil ? C’est le meilleur que j’aie jamais fait, le meilleur de toute ma vie, et voilà que ces deux femelles hystériques veulent le foutre en l’air !

Il se calma un peu en grommelant que les femmes n’avaient pas le sens de la mesure. Je ne pus m’empêcher de sourire :

— Dis, mon vieux, c’est quand même toi qui as déclenché tout ça.

— D’accord, je sais, ronchonna-t-il. Mais reconnais, Phil, qu’on ne peut pas en vouloir à un homme de perdre la tête pour une fille comme ça. Même Caroline devrait le comprendre.

Je lui demandai ce qui se passerait si Caroline se rebiffait et refusait de divorcer.

Mais il semblait parti dans le vague. Je répétai ma question.

— Caroline n’est pas rancunière, répondit-il d’un air absent. C’est ça que tu n’arrives pas à comprendre.

— Il y a la petite, fis-je remarquer. Il me prit par le bras :

— Phil, mon vieux, je sais que ça part de bons sentiments, mais arrête de hurler avec les loups. Je sais ce que je fais. Tout ça finira par se tasser. Tu verras ce que je te dis.

C’était cela, Amyas : un optimiste impénitent.

— Et puis qu’elles aillent toutes au diable ! fit-il, soudain redevenu gai.

Je ne sais s’il aurait ajouté quelque chose, mais quelques instants plus tard, Caroline débarqua sur la terrasse. Elle avait mis un chapeau, une sorte de capeline marron foncé assez seyante.

— Enlève cette blouse maculée de peinture, Amyas, fit-elle sur un ton calme et posé. Nous allons prendre le thé chez Meredith, aujourd’hui, tu ne te rappelles pas ?

Il eut l’air de tomber des nues.

— Ah, euh, j’oubliais. Oui, b-bien sûr, bafouilla-t-il.

— Alors va enfiler autre chose, que tu n’aies pas l’air d’un chiffonnier.

Bien que sa voix fût tout à fait normale, elle évitait de le regarder. Elle se dirigea vers un massif de dahlias et se mit à ôter les fleurs trop avancées.

Amyas s’éloigna lentement et rentra dans la maison.

Caroline revint alors me parler. Me parler d’abondance. Bavarder de tout et de rien. Sur les chances du beau temps de se maintenir, sur celles de trouver du maquereau au cas où Angela, Amyas et moi aurions voulu aller pêcher en mer. Elle était vraiment étonnante, je dois bien l’avouer.

Mais cela montrait aussi, à mon avis, le genre de femme qu’elle était. Elle possédait une grande force de caractère et un total contrôle d’elle-même. J’ignore si elle avait déjà décidé de le tuer à ce moment-là, mais je n’en serais pas autrement surpris. Elle était capable d’échafauder ses plans avec minutie, froidement, avec un esprit clair et impitoyable.

Caroline Crale était une femme éminemment redoutable. J’aurais dû me rendre compte à ce moment-là qu’elle ne serait pas du genre à baisser pavillon. Mais, comme un imbécile, j’ai cru qu’elle avait pris son parti devant l’inéluctable – ou qu’elle s’imaginait peut-être qu’en faisant exactement comme si de rien n’était, Amyas pourrait changer d’avis.

Un moment plus tard, les autres sortirent à leur tour. Elsa avec un air de défi – et de triomphe tout à la fois. Caroline fit mine de ne pas la voir. Ce fut Angela qui sauva la situation. Elle arriva en pleine dispute avec miss Williams, refusant tout net de changer de jupe pour qui que ce soit au monde. Celle-ci ferait très bien l’affaire, surtout pour ce vieux Meredith chéri qui ne remarquait jamais rien, lui.

Nous nous mîmes enfin en route. Caroline marchait avec Angela. Moi aux côtés d’Amyas. Et Elsa toute seule, le sourire aux lèvres.

Personnellement, elle n’était pas mon type – un caractère trop violent –, mais je dois admettre qu’elle était incroyablement belle, cet après-midi-là. Les femmes le sont, quand elles ont obtenu ce qu’elles voulaient.

Je n’ai qu’un souvenir confus des événements qui suivirent. Tout cela est brouillé dans ma mémoire. Je revois juste le vieux Merry venir à notre rencontre. Je crois que nous avons commencé par faire le tour de la propriété, et je me rappelle avoir eu une longue conversation avec Angela sur le dressage des terriers pour la chasse aux rats. Elle n’arrêtait pas de manger des pommes et essayait de me persuader d’en faire autant.

Lorsque nous sommes revenus à la maison, les autres étaient en train de prendre le thé sous le grand cèdre. Merry, je me souviens, avait l’air très perturbé. Je suppose que l’un des deux, Caroline ou Amyas, venait de le mettre au courant. Il dévisageait Caroline d’un air incrédule, puis foudroyait Elsa du regard. Il paraissait vraiment effondré, le pauvre. Bien sûr, Caroline prenait un malin plaisir à déverser ses malheurs sur Meredith, l’ami fidèle, l’amoureux platonique qui jamais, au grand jamais, n’irait trop loin. Voilà comment elle était, Caroline.

Après le thé, Meredith me prit précipitamment à part :

— Mais enfin, Phil, Amyas ne peut tout de même pas faire ça !

— Eh bien détrompe-toi : il va le faire.

— Il ne va quand même pas abandonner femme et enfant pour partir avec cette fille ! Surtout avec cette différence d’âge : elle ne doit pas avoir plus de dix-huit ans !

Je lui répondis que miss Greer avait vingt ans et plus vraiment une mentalité de rosière.

— N’empêche qu’elle n’est pas majeure, rétorqua-t-il. Elle ne peut pas savoir ce qu’elle fait.

Pauvre Meredith. Toujours aussi vieux jeu !

— Ne te bile pas pour elle, le rassurai-je : elle, au moins, elle sait ce qu’elle fait, et elle s’en délecte !

C’est tout ce que nous pûmes nous dire. Je songeais en moi-même que Merry devait être aux cent coups à l’idée de savoir Caroline abandonnée. Une fois le divorce prononcé, elle s’attendrait peut-être à ce que son chevalier servant vienne lui demander sa main. A mon avis, le rôle de l’amoureux sans espoir était beaucoup plus dans les cordes de mon frère. Cet aspect de la situation me fit sourire, je l’admets.

Assez curieusement, je me souviens assez peu de notre visite du labo de Meredith. Il adorait le montrer aux gens. Personnellement, je trouvais ça barbant au possible. Je pense que je devais être là avec les autres quand il a parlé de l’efficacité de la conicine, mais je ne me rappelle pas. Et je n’ai pas vu Caroline en prendre. Comme je l’ai dit, c’était une femme très adroite. Ce dont je me souviens, par contre, c’est quand Meredith a lu à tout le monde un passage de Platon décrivant la mort de Socrate. Ennuyeux à mourir. Les classiques m’ont toujours prodigieusement rasé.

Voilà à peu près tout ce qui me revient à l’esprit de cette journée. Je sais qu’une bagarre carabinée éclata entre Amyas et Angela, et nous en fûmes presque heureux car elle nous évitait d’autres difficultés. De colère, Angela monta se coucher non sans une dernière bordée d’imprécations : et d’une, il le lui paierait ; et de deux, qu’il crève ; et de trois, tant qu’à crever, que ce soit de la lèpre si possible, ça lui ferait les pieds ; et de quatre, qu’il lui vienne pour toujours une saucisse au bout du nez, comme dans les contes de fées ! Quand elle eut disparu, tout le monde éclata de rire – comment s’en empêcher, face à un aussi étrange salmigondis ?

Caroline monta dans sa chambre presque aussitôt après. Miss Williams rejoignit son élève. Amyas et Elsa sortirent ensemble dans le jardin. Ma présence n’étant manifestement pas souhaitée, je partis de mon côté pour une promenade en solitaire dans la douceur de la nuit.

Je descendis tard, le lendemain matin. La salle à manger était déserte. C’est drôle, comme certains détails nous reviennent : j’ai encore le goût des rognons grillés et du bacon dont j’ai déjeuné ce matin-là. Excellents, les rognons. Au poivre.

Après quoi je me mis à la recherche des autres. Je sortis. Dehors, personne. J’allumai une cigarette. Je croisai alors miss Williams à la poursuite d’Angela qui, comme d’habitude, s’était fait la belle au moment de raccommoder une robe déchirée. De retour dans le hall, des éclats de voix me parvinrent de la bibliothèque : Amyas et Caroline étaient en train de se disputer. « Toi et tes histoires de femmes ! vociférait-elle. Il y a des fois où j’ai envie de te descendre ! D’ailleurs je finirai par le faire, un de ces quatre !

— Ne dis pas de bêtises, Caroline », répondit-il. Et elle : « Je te jure bien que je ne plaisante pas, Amyas. »

Je ne voulais surtout pas en entendre davantage. Je sortis, décidai d’arpenter la terrasse et tombai sur Elsa.

Elle était installée sur l’une des chaises longues, juste en dessous de la fenêtre de la bibliothèque – et ladite fenêtre était grande ouverte. J’imagine qu’elle n’avait pas perdu une miette de ce qui se passait à l’intérieur. Quand elle me vit, elle se leva avec un calme imperturbable et vint me rejoindre, souriante.

Elle me prit le bras :

— Superbe, cette matinée, n’est-ce pas ? Superbe pour elle, oui ! Cruauté ? Non, je crois simplement qu’elle ne voyait midi qu’à sa porte et ne s’en cachait pas. Seul comptait son intérêt personnel.

Nous bavardions ainsi depuis cinq minutes sur la terrasse lorsque j’entendis la porte de la bibliothèque claquer. Amyas sortit. Il était apoplectique.

Il attrapa sans cérémonie Elsa par l’épaule :

— Viens, il est temps de poser. Je veux avancer ce fichu tableau.

— D’accord, répondit-elle. Je monte juste chercher un pull. Il y a un petit vent frais.

Elle rentra dans la maison.

Je me demandai si Amyas allait me dire quelque chose, mais il se borna à lever les yeux au ciel.

— Ah, ces bonnes, femmes !

— Allons, du cran, mon vieux.

Ce furent les seules paroles que nous échangeâmes jusqu’au retour d’Elsa.

Ils partirent tous les deux en direction du jardin de la Batterie. Je regagnai la maison. Caroline était plantée au milieu du hall. Je ne crois même pas qu’elle s’aperçut de ma présence. Ça lui arrivait, parfois : elle semblait complètement ailleurs – perdue dans ses pensées, eût-on dit. Elle murmura quelque chose. Pas à moi, à elle-même.

— C’est trop cruel…, entendis-je à peine.

Ce fut tout. Elle passa devant moi et monta l’escalier, toujours sans paraître me voir, comme une somnambule. Je suis intimement persuadé – mais je n’ai aucune autorité pour émettre ce genre d’avis, vous le comprendrez – que c’est là qu’elle est allée chercher le poison et qu’elle a pris la décision d’accomplir son geste.

Juste à ce moment, le téléphone sonna. Dans certaines maisons, on attend qu’un domestique réponde, mais j’étais si souvent à Alderbury que je faisais un peu comme chez moi. Je décrochai.

C’était la voix de mon frère Meredith. Affolé. Il m’expliqua qu’il était allé dans son laboratoire et qu’il avait trouvé la fiole de conicine à moitié vide.

Je ne reviendrai pas sur tout ce que je pense maintenant que j’aurais dû faire. Mais la nouvelle était ahurissante et je fus assez bête pour me laisser décontenancer. Meredith, à l’autre bout du fil, était complètement paniqué. Entendant quelqu’un dans l’escalier, je lui dis brièvement de venir me rejoindre tout de suite.

Je sortis moi-même à sa rencontre. Au cas où vous ne connaîtriez pas la configuration des lieux, le chemin le plus court pour se rendre d’un domaine à l’autre est de traverser une petite crique à la rame. J’empruntai donc le sentier qui descendait vers l’endroit où l’on rangeait les barques, à deux pas d’une jetée. Ce faisant, je passai sous le mur du jardin de la Batterie, et j’entendis Amyas et Elsa parler tandis qu’il peignait. Ils semblaient très gais et décontractés. Amyas était en train de dire qu’il faisait incroyablement chaud – ce qui était vrai pour septembre – et Elsa répondait qu’assise là sur son créneau, elle sentait un petit vent froid venir de la mer. « Je me sens tout engourdie à force de garder la pose, fit-elle. Est-ce que je peux me reposer un peu, chéri ?

— Pas question. Tiens le coup, tu n’es pas une mauviette. Et c’est vraiment en train de prendre tournure, je t’assure. » Elsa le traita en riant de « brute épaisse », après quoi je fus trop loin pour entendre.

Meredith avait déjà amorcé sa traversée à la rame depuis l’autre rive. Je l’attendis. Il amarra son bateau et gravit les marches. Il était blafard et dans tous ses états.

— Tu as plus de tête que moi, Philip, haleta-t-il. Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire ? C’est dangereux, ce truc !

— Tu es absolument sûr qu’on t’en a pris ? demandai-je.

Il faut vous dire que Meredith a toujours été du genre distrait. C’est peut-être d’ailleurs pourquoi je n’ai pas pris la situation suffisamment au sérieux. Il répondit qu’il en était certain : la veille, la fiole était pleine.

— Et tu ne vois vraiment pas qui a pu t’en faucher ?

Il affirma que non et me demanda ce que moi, j’en pensais. Un des domestiques, peut-être ? Je répondis que c’était possible, mais improbable. Il gardait toujours la porte fermée à clé, n’est-ce pas ? Toujours, confirma-t-il avant de se lancer dans tout un discours sur le fait qu’il avait trouvé la fenêtre du fond entrouverte. Quelqu’un aurait pu se glisser par là.

— Un rôdeur ? fis-je avec scepticisme. Je crains fort, mon pauvre Meredith, qu’il n’y ait des hypothèses beaucoup plus déplaisantes.

Il me demanda ce que j’entendais par là. Je répondis que s’il ne se trompait pas, il était probable que ce soit Caroline qui l’ait pris pour empoisonner Elsa, ou alors Elsa pour se débarrasser de Caroline et être enfin libre de filer le parfait amour.

Meredith accusa le coup. Il me rétorqua que c’était absurde, que je faisais du mélo et que ça ne tenait pas debout.

— En tout cas, la moitié de ta mixture a disparu, insistai-je. Alors quelle explication as-tu, toi ?

Il n’en avait aucune, bien sûr. En fait, il pensait exactement comme moi mais refusait de voir les choses en face.

— Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire ? demanda-t-il de nouveau.

Et moi, fou que j’étais, de répondre : « Il faut qu’on réfléchisse bien. Soit tu annonces la disparition devant tout le monde, soit tu prends Caroline à part et tu l’accuses. Si elle te convainc que ce n’est pas elle, suis la même tactique avec Elsa.

— Une fille comme ça, répliqua-t-il. Elle ne peut pas avoir fait un coup pareil !

— Je n’en mettrais pas ma main au feu », dis-je.

Nous remontions vers la maison tout en parlant. Mais après ma dernière remarque, nous restâmes quelques instants silencieux. Nous approchions de nouveau de la Batterie, et j’entendis la voix de Caroline.

Je craignis d’abord qu’une querelle à trois n’eût éclaté, mais c’est en fait d’Angela qu’ils parlaient. « C’est quand même dur pour elle, pauvre fille », protestait Caroline. Amyas lança avec impatience une réplique quelconque. Puis la porte du jardin s’ouvrit juste au moment où nous arrivions à sa hauteur. Amyas parut un peu surpris de nous voir. Caroline s’apprêtait à sortir. « Bonjour, Meredith, dit-elle.

Nous étions juste en train de discuter du problème d’envoyer ou non Angela en pension. Je ne suis pas du tout persuadée que ce soit une bonne chose pour elle.

— Ne fais donc pas tant d’histoires, intervint Amyas. Ça lui fera du bien. Et pour nous, bon débarras. »

Elsa apparut alors en courant sur le sentier qui venait de la maison, une sorte de pull rouge à la main.

— Amène-toi, grogna Amyas, et dépêche-toi de reprendre la pose. Je n’ai pas envie de perdre du temps.

Il retourna à son chevalet. Je remarquai qu’il titubait légèrement et me demandai s’il avait bu. Ce qui aurait pu se comprendre, vu l’agitation et les scènes auxquelles il était soumis.

— La bière du pavillon est bouillante, ronchonna-t-il. Il n’y a pas moyen de garder de la glace, ici ?

— Je vais te descendre des bouteilles toutes fraîches, dit Caroline.

— Merci, bougonna Amyas.

Caroline referma donc la porte de la Batterie et monta avec nous à la maison. Elle rentra tandis que nous nous installions sur la terrasse. Environ cinq minutes plus tard, Angela arriva avec deux bouteilles de bière et des verres, qui furent les bienvenus tant la journée était chaude. Pendant que nous nous désaltérions, Caroline passa devant nous. Elle portait une autre bouteille et nous dit qu’elle allait la descendre à Amyas. Meredith lui proposa de le faire, mais elle insista fermement pour s’en charger elle-même. Moi, comme un idiot, j’ai cru que c’était juste par jalousie, parce qu’elle ne supportait pas de le savoir seul en bas avec Elsa. Et que c’est déjà ce qui l’avait fait descendre la première fois, sous le fallacieux prétexte du départ d’Angela.

Nous la regardâmes s’éloigner sur les méandres du sentier. Nous n’avions toujours rien décidé, et voilà qu’Angela se mettait à réclamer à grands cris que je descende au bain avec elle. Dans ces conditions, impossible de rester seul avec Meredith. « Après déjeuner », lui glissai-je, et il répondit par un hochement de tête affirmatif.

Je partis donc me baigner avec Angela. Nous fîmes un grand tour à la nage, la traversée de la crique et retour, puis nous nous allongeâmes sur les rochers pour prendre le soleil. Angela était d’humeur quelque peu taciturne, ce qui me seyait parfaitement. Je décidai que juste après le déjeuner, je prendrais Caroline à part et l’accuserais bille en tête d’avoir volé le poison. Ne pas laisser Meredith le faire, il était trop mou. Non, j’irais droit au but. Après cela, elle serait bien obligée de le restituer. Et même si elle ne le faisait pas, elle n’oserait pas l’utiliser. Plus j’y réfléchissais, plus j’étais convaincu de sa culpabilité. Elsa était bien trop rusée pour prendre le risque de tripoter du poison. Elle n’était pas folle et ne s’exposerait pas de la sorte. Caroline était d’un tempérament plus dangereux : instable, impulsive, et certainement névrosée. Pourtant voyez-vous, au fond de mon esprit, subsistait l’idée que Meredith avait pu se tromper. Ou qu’un domestique quelconque était venu farfouiller dans le laboratoire, avait renversé le flacon et n’avait pas osé l’avouer. Car c’est vrai que parler de poison fait tellement mélodramatique qu’on a peine à y croire.

Jusqu’à ce que ça arrive.

L’heure avait tourné lorsque je consultai ma montre, et nous dûmes, Angela et moi, presser le pas pour remonter déjeuner. Ils étaient en train de se mettre à table, tous sauf Amyas qui était resté peindre à la Batterie. Rien d’inhabituel à cela, et je trouvai même particulièrement bien venu qu’il ait décidé de ne pas remonter ce jour-là. Eût-il agi autrement que le déjeuner aurait sans doute été pénible.

Nous prîmes le café sur la terrasse. Je ne me souviens hélas pas très bien de l’expression ni de l’attitude de Caroline. Mais elle ne montrait pas la moindre agitation. Plutôt une tristesse discrète, il me semble. Cette femme était démoniaque !

Car c’est une chose démoniaque que d’empoisonner un homme de sang-froid. S’il y avait eu un revolver dans la maison, qu’elle s’en soit emparée et lui ait tiré dessus – soit, cela aurait pu se comprendre. Mais ce geste de vengeance implacable, prémédité… accompli avec tant de calme, de maîtrise de soi !

Elle se leva et dit de la façon la plus naturelle du monde qu’elle descendait lui porter son café. Et pourtant elle savait à ce moment-là – elle ne pouvait pas ne pas savoir – qu’elle allait le trouver mort. Miss Williams l’accompagna. Je ne sais plus si c’est Caroline qui le lui demanda. Je crois que oui.

Les deux femmes partirent donc ensemble. Quelques instants après, Meredith fit de même et prit lentement le chemin de chez lui. J’étais en train de chercher une excuse pour le rejoindre lorsque je le vis revenir au pas de course. Il était blême.

— Un médecin ! haleta-t-il. Vite… Amyas… Je me levai d’un bond :

— Il est malade ? C’est grave ?

— J’ai peur qu’il soit mort…, articula Meredith. Sur le moment, nous avions oublié Elsa. Mais elle poussa un cri soudain. On eût dit la plainte d’une âme damnée.

— Mort ? Il est mort ?…

Et elle partit en courant. Je n’aurais jamais cru qu’on pût courir aussi vite. Comme une gazelle… un animal blessé… une furie vengeresse, aussi.

— Rattrape-la, fit Meredith, toujours pantelant. Rattrape-la, Dieu sait ce qu’elle peut faire !

Je me lançai donc à sa poursuite… et ce fut tant mieux. Elle aurait facilement pu tuer Caroline. Je n’ai jamais vu pareille douleur, haine aussi furieuse. Tout son vernis de raffinement et de belles manières l’avait quitté. Revenaient les rudes instincts de la classe laborieuse dont elle était issue, ceux de la femme primitive. Elle aurait griffé Caroline au visage, elle lui aurait arraché les cheveux, elle l’aurait passée par-dessus le parapet si elle avait pu. Elle pensait, je ne sais pour quelle raison, que Caroline avait poignardé Amyas. Ce qui était complètement faux, bien entendu.

Je parvins à la maîtriser, puis la confiai à miss Williams. Qui se débrouilla fort bien, je dois dire. Elle réussit à lui faire reprendre contrôle d’elle-même en moins d’une minute. Elle lui dit de se tenir tranquille et la sermonna en expliquant que ces cris et cette violence n’étaient pas de mise ici. Un vrai dragon, cette femme. Mais elle atteignit son but :

Elsa se tut et resta immobile, haletante et tremblante de rage.

Quant à Caroline, pour moi, le masque était tombé. Elle aussi se tenait immobile, parfaitement calme, comme abasourdie. Mais abasourdie elle n’était pas. Ses yeux la trahissaient. Des yeux sur le qui-vive – impassibles, mais auxquels pas un geste n’échappait. Elle commençait, j’ai l’impression, à avoir peur…

Je m’approchai d’elle et lui dis tout bas – si bas que je ne pense pas que les deux autres femmes m’entendirent :

— Criminelle ! Vous avez assassiné mon meilleur ami.

Elle se recroquevilla sur elle-même.

— Non… oh non…, balbutia-t-elle. C’est lui… lui qui s’est tué…

Je la regardai droit dans les yeux :

— Vous raconterez ça à la police.

C’est ce qu’elle a fait. Mais ils ne l’ont pas crue.

Fin du récit de Philip Blake.

Cinq petits cochons
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